Du devoir de probité du médecin face à ses pairs

Nous avons entendu parlé récemment d’un psychiatre condamné à 6 mois d’interdiction d’exercer la médecine pour avoir loué des logements insalubres en toute connaissance et après avoir ignoré toute injonction de faire cesser cet état de fait. L’histoire se déroule à Saint-Denis, le praticien condamné louait 2 appartements reconnus comme insalubres, avec des retards de règlements de charges de copropriété. Pendant 6 ans, malgré les relances de la mairie de Saint-Denis, rien n’a été fait pour améliorer les conditions de logement des deux appartements. Condamné en première instance disciplinaire à 6 mois d’interdiction avec sursis, la sentence à été alourdie à 6 mois d’interdiction sans sursis en instance d’appel à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins. Pour avoir en toute connaissance de cause, et de manière répétée exposé ses locataires à des risques sanitaires qu’il ne pouvait ignorer par sa qualité de médecin, la sanction a donc été alourdie en appel pour avoir par ce comportement gravement porté atteinte à la profession médicale.

Pour mettre en relief la portée de la sanction, priver un médecin de son droit d’exercer pendant 6 mois, c’est le condamner à une absence de revenus liés à sa profession pendant toute cette durée. Lorsque ce revenu est la seule source, c’est condamner le médecin à une très lourde amende. Justifiée ou pas dans ce cas précis, la décision prise a été largement motivée par les faits reprochés, mais quand est-il pour des cas plus discutables?

Prenons le cas du Dr Thierry Lecoquierre qui après 27 ans de pratique au Havre en tant que médecin généraliste, a été condamné en première instance à 1 an d’interdiction d’exercer dont 6 mois avec sursis, soit en termes de durée d’interdiction d’exercer effective, la même sanction que notre cas précédent. La sanction en appel a été réduite à trois mois dont deux avec sursis. Sa faute : la rédaction d’un contenu pamphlétaire perçu comme une incitation au viol. Pour bien comprendre la portée de la faute revenons simplement sur les termes :

  • Pamphlet : œuvre littéraire dont le but est de contester un pouvoir ou un homme de pouvoir sur le mode de la dénonciation, de la caricature, du dénigrement, de la raillerie, dans un style souvent vindicatif
  • Incitation au viol : tombe sous le coup de la loi qui puni toute incitation à la réalisation de crime ou de délit, suivie d’effet ou non.

La qualification du contenu rédigé est importante car elle permet de situer si une sanction est justifiée dans le cas de l’incitation punissable par la justice, ou si la sanction revêt le caractère d’atteinte à la liberté d’expression quand il s’agit d’un pamphlet. Notons que nous mettons volontairement en retrait le contenu du texte, puisqu’il ne s’agit pas de la forme qui nous intéresse mais du fond.

Pour son texte, le Docteur Lecoquierre :

  • A fait l’objet d’un rappel à l’ordre par le procureur sans aucune condamnation prononcée ni poursuite engagée
  • A fait l’objet d’une condamnation en première instance du conseil régional de l’ordre des médecins pour des faits d’incitation au viol et de mensonges
  • A fait l’objet d’une confirmation de la condamnation avec réduction de peine avec reconnaissance explicite du caractère pamphlétaire du texte et dédouanement des mensonges qui lui avaient été imputés en première instance.

Pour s’être exprimé publiquement en des termes jugés d’une grande violence verbale indigne d’un médecin et portant atteinte à l’image de la profession, le praticien a donc été finalement condamné par ses pairs à 3 mois d’interdiction d’exercer dont deux avec sursis. On constate ainsi, que pour des faits non répréhensibles par la loi, et malgré une reconnaissance explicite en appel que les faits reprochés en première instance n’aient plus aucune raison d’être, on impose un calvaire de deux ans à un homme ayant exercé son métier pendant 27 ans, et que sans égards vis-à-vis de l’homme et du médecin qu’il a pu être pendant toutes ces longues années, on puisse le condamner en chambre disciplinaire pour avoir « porté atteinte à l’image » de la profession qu’il a si bien représenté pendant tout ce temps.